Il y a quelques semaines, j’ai assisté au Female Gaze Book Club, au Mob Hotel. L’invitée était Jennifer Padjemi pour parler de son livre Selfie, qui traite du rapport au corps dans notre société. Quand elle a mentionné l’origine politique et radicale du self-care, j’ai immédiatement eu envie d’écrire un article sur le sujet. En effet, elle a abordé certains points qui me tiennent particulièrement à cœur dans ma pratique :

  • l’importance de s’éduquer pour retrouver de l’autonomie dans sa santé et pouvoir prendre des décisions éclairées, dans un système médical pas toujours à l’écoute et souvent dominateur,
  • l’idée que la santé et le bien-être sont des sujets profondément politiques, le capitalisme, le racisme et le sexisme étant systémiques dans ce domaine comme ils le sont dans notre société de manière plus globale,
  • le désengagement de l’Etat, qui a tendance à tout ramener à l’échelle individuelle et rejeter sa responsabilité dans les échecs et manquements du système médical.

 

Historique & Définition

Aujourd’hui, l’idée de self-care est fréquemment quelque chose d’individualiste et consumériste. Mais cela est un dévoiement du sens de départ du mot, qui était fortement enraciné dans un contexte militant, solidaire, communautaire.

Le mot « self-care » trouve son origine dans le monde médical dans les années 50. Au départ, il était centré sur les patients institutionnalisés, avec l’idée qu’ils pouvaient cultiver un sentiment d’estime de soi grâce à certains actes de soin de soi. Mais c’est plus tard, dans les années 70, que l’idée s’est popularisée au sein du grand public, grâce à l’activisme des Black Panthers. Au sein de leur combat pour la justice raciale aux US, la santé, le soin avait une place clé. Leur but était d’aider les communautés noires, discriminées face à l’accès au soin, à bénéficier d’information et d’éducation sur le sujet, à acquérir de l’autonomie dans leur santé, etc.

On retrouve cette idée en 1988 dans l’essai d’Audre Lorde « A Burst of Light, Living with Cancer ». Audre Lorde, essayiste et poétesse américaine, était une militante féministe, lesbienne, engagée dans le mouvement des droits civiques en faveur des Afro-Américains. Je te partage une citation de cet ouvrage : “I had to examine, in my dreams as well as in my immune-function tests, the devastating effects of overextension. Overextending myself is not stretching myself. I had to accept how difficult it is to monitor the difference. Necessary for me as cutting down on sugar. Crucial. Physically. Psychically. Caring for myself is not self-indulgence, it is self-preservation, and that is an act of political warfare.”

Pas très facile à traduire correctement, mais en gros ça donne : « J’ai dû examiner, dans mes rêves ainsi que dans mes tests de fonction immunitaire, les effets dévastateurs de la sur-extension. Me surmener n’est pas la même chose que me dépasser. J’ai dû accepter à quel point il était difficile d’observer la différence. Aussi nécessaire pour moi que de réduire le sucre. Crucial. Physiquement. Psychiquement. Prendre soin de moi n’est pas de l’indulgence, c’est de l’auto-préservation, et c’est un acte de combat politique. » Ce qu’elle dit ici c’est que prendre soin d’elle, prendre soin de sa santé et respecter ses limites est quelque chose de vital, pas seulement un acte individuel mais un acte de résistance politique, en tant que personne minorisée dans une société violente avec les communautés noires et LGBTQIA+. Pour Audre Lorde, aussi, la communauté, l’entourage, étaient une part cruciale du self-care et de l’épanouissement.

Sa vision du self care était par ailleurs quelque chose de profondément holistique, englobant à la fois des gestes de bien-être tels que réduire le sucre et travailler moins, mais aussi le fait de s’éduquer sur sa santé afin de pouvoir prendre des décisions éclairées, de reprendre du pouvoir et de l’autonomie face à une profession médicale parfois dominante et infantilisante, raciste et sexiste. Elle ne rejetait cependant pas la médecine, mais défendait une vision plus horizontale du soin, au sein de laquelle lae patient·e est acteurice de sa santé.

Sources pour approfondir :

 

 

Les aspects clé du self-care : Reprendre le pouvoir sur sa santé

Nous avons évolué dans une vision très verticale de la santé, un monde où les médecins sont les sachants et les patient·e·s remettent leur santé entre leurs mains. Je ne sais pas toi, mais plus jeune, si un médecin me disait de faire quelque chose, je le faisais sans me poser de question, pensant que si ça m’était demandé c’est que c’était nécessaire. J’avais confiance en les compétences d’une personne qui a fait une dizaine d’années d’études dans un domaine que je ne maîtrisais pas. Puis j’ai grandi, et réalisé que les médecins sont aussi des êtres humains et que comme tous le monde ils ont leurs biais, leurs angles morts, leurs préjugés. Et surtout, nombre de ces biais ne sont pas juste des opinions personnelles mais bien des biais structurels inscrits dans un système médical oppressif. Evidemment, cela ne veut pas dire que tous les médecins soient sexistes, racistes ou encore grossophobes, mais les discriminations qui peuvent être vécues par les patient·e·s sont nombreuses et pas de simples phénomènes isolés. Je vais détailler ces aspects dans les deux sous parties qui suivent.

Aujourd’hui, je pense qu’il est essentiel que chacun.e puisse s’informer sur sa santé afin de pouvoir prendre des décisions éclairées. Le véritable consentement éclairé nécessite forcément un·e soignant·e capable d’écouter, d’informer les patient·e·s, de tenir compte de leur parole. Les médecins sont des experts de la médecine, mais les patient·e·s sont experts de leurs propres besoins, de leurs ressentis, de leur vécu. En naturopathie c’est un aspect essentiel de notre travail : pas juste donner des conseils mais informer, expliquer, aider la personne à retrouver son autonomie.

Approfondir le sujet des discriminations dans le domaine de la santé :

 

 

Médecine, capitalisme & patriarcat

La médecine n’est pas neutre. En l’occurence, la médecine que nous connaissons est structurellement patriarcale, sexiste, capitaliste et raciste.

 

Sexisme & transphobie dans la médecine

1 femme sur 3 meurt d’une maladie cardio-vasculaire et pourtant elles sont encore traitées comme un problème de santé masculin, l’endométriose prend en moyenne 7 ans à être diagnostiquée alors qu’elle touche au moins une personne menstruée sur 10, il existe cinq fois plus d’essais cliniques pour traiter les problèmes d’érection que les problèmes vaginaux, etc. Pour la médecine moderne, dans les essais cliniques comme dans la réalisation des médicaments, le corps “masculin” est la référence. Le corps “féminin”, lui, est celui qui pose problème car les variations hormonales et les différences de métabolisme rendent l’intégration des femmes dans les protocoles de recherche souvent plus complexe et plus coûteuse, ce qui fait qu’elles en sont encore trop souvent éliminées. En plus du fait que la médecine considère principalement les hommes, elle tente d’exercer un contrôle sur le corps des femmes. Ainsi, la grossesse est fortement médicalisée et pathologisée, les contrôles gynécologiques fréquents, et c’est sans compter les affaires de touchers vaginaux exercés sur des personnes endormies sans leur consentement et autres témoignages de “point du mari” (qui consiste à faire des points en plus pour resserrer le vagin suite à une épisiotomie ou une déchirure, afin de donner plus de plaisir au partenaire à pénis lors des rapports. Cette pratique barbare est niée officiellement, mais les témoignages de patientes sont extrêmement nombreux et choquants). Enfin, les femmes & les personnes queer sont fréquemment infantilisées et discriminées.

Le contrôle des corps se fait aussi sur celui des personnes trans, dont les parcours médicaux sont jalonnés d’obstacles : mégenrage, pathologisation et psychiatrisation, refus de soin, violences médicales. Cette transphobie du milieu médical a de sérieuses conséquences puisque à cause de tout cela de nombreuxses patient·e·s trans renoncent à des soins et à des examens.

Enfin, l’ordre des médecins, loin d’agir en cas de violences, d’abus ou même d’accusations de vi*l est constamment dans l’entre-soi et la protection de ses membres, au détriment des patient·e·s.

 

Racisme et colonialisme dans la médecine

Toutes ces pratiques actuelles ne sortent pas de nulle part. L’Histoire de la médecine occidentale est marquée par la violence et le mépris de certaines populations depuis des siècles. Ainsi, je peux citer l’exemple de J. Marion Sims, un médecin américain du XIXe siècle souvent considéré comme fondateur de la gynécologie moderne. Ce médecin a pourtant mis au point ses techniques en opérant sans anesthésie sur des femmes noires esclavagisées. L’histoire coloniale est pleine de ces expérimentations sur les corps des personnes noires, considérées paradoxalement à la fois comme inférieures et plus résistantes. La médecine coloniale, profondément inégalitaire, a laissé sa trace encore aujourd’hui. On a peu de statistiques sur le sujet en France, mais on peut le constater aux Etats-Unis. Par exemple, les femmes noires et autochtones meurent 2 à 3 fois plus que les femmes blanches de causes liées à la grossesse.

 

Un système de santé capitaliste

Enfin, le système de santé français, longtemps vanté comme étant le meilleur est aujourd’hui en crise. En effet, les politiques publiques mises en place depuis les années 80 ont introduit des pratiques managériales et une idée de productivité et de rentabilité dans le domaine de la santé. Un exemple : la tarification à l’acte, qui conduit les hôpitaux à privilégier les actes de soin les plus “rentables” au détriment de sa mission de service public. Conséquence : les conditions de travail de toustes les soignant·e·s se dégradent fortement et la qualité des soins aussi. De plus, les inégalités d’accès au soin sont très importantes en France, où l’espérance de vie des populations les plus pauvres est considérablement inférieure à celle des populations les plus riches. Ces populations sont aussi les plus touchées par les maladies chroniques. En plus de l’accessibilité des soins médicaux classiques, il me semble important de mentionner l’accès aux pratiques complémentaires, aux pratiques du bien-être, telles que la naturopathie, l’osthéopathie, la sophrologie, etc. En effet, ces pratiques représentent un coût non négligeable qui malheureusement limite leur accès. Or, leur rôle dans la prévention, dans la réduction de la prise de médicaments, dans l’amélioration de l’hygiène de vie et du bien-être est précieux en complément d’un suivi médical classique. Ainsi, selon une enquête réalisée par le site Médoucine en septembre 2022, “Près de 9 Français sur 10 (87%) s’accordent à dire que les médecines douces permettent d’améliorer son bien-être et sont de bons compléments aux médecines conventionnelles (83%).” (l’enquête de Médoucine)

Sources pour approfondir le sujet

Sur le sexisme et la transphobie :

Sur le racisme et le colonialisme :

Sur l’état du système de santé en France :

 

 

La santé devrait être accessible à toustes

J’ai essayé de ne pas écrire un article trop long et indigeste, mais il resterait encore plein d’aspects à développer. Je n’ai ainsi pas parlé de la grossophobie médicale, du traitement des personnes intersexes, etc. Le but n’est pas ici de rédiger un essai complet, mais j’espère avoir montré au mieux à quel point la santé n’est pas juste une question individuelle mais bien une question politique essentielle.

Pour un meilleur système de santé, accessible à toustes et qui prenne en compte les besoins individuels de chacun·e, je vois quelques points qui me semblent être clé :

  • sortir de la logique marchande et que la santé redevienne un véritable service public,
  • faire évoluer la formation des médecins, pour sortir de la vision actuelle patriarcale, raciste, hétéro et ciscentrée et aussi pour tenir compte des découvertes récentes sur de nombreuses maladies chroniques encore bien trop mal connues même des gynécologues et endocrinologues qui devraient pourtant en être les spécialistes (endométriose, SOPK, etc.),
  • former les soignant·e·s et accompagnant·e·s dans leur ensemble, à une approche bienveillante, respectueuse et digne, à l’écoute des besoins des patient·e·s, et à une prise en charge humaine et individuelle, qui sorte d’une vision qui mette dans des cases pour prendre en charge chaque personne et chaque situation dans son unicité,
  • former les soignant·e·s et accompagnant·e·s dans leur ensemble, aux biais et oppressions systémiques et à l’accompagnement des populations minorisées, pour une véritable inclusivité,
  • qu’en temps qu’accompagnant·e·s ou professionnel.le.s de santé, nous faisions toustes preuve de remise en question, d’un regard critique sur notre pratique et sur nos biais internalisés, d’une volonté d’évoluer et de se former de manière continue, et d’une écoute de la parole des personnes concernées quand nous-mêmes ne le sommes pas,
  • développer une médecine plus intégrative, au sein de laquelle les professions complémentaires auraient un vrai rôle à jouer, dans un but d’améliorer la prévention, de diminuer l’usage de certains traitements et d’améliorer le confort de vie des patient·e·s. Par exemple, une personne atteinte d’endométriose pourrait voir en plus de saon gynécologue qui assure son suivi médical un·e naturopathe, sophrologue et/ou ostéopathe afin d’aider à réduire douleurs et inflammation et améliorer son bien-être,
  • rendre accessible à toustes des informations fiables sur la santé et sur les droits des patient·e·s face au personnel de soin,
  • créer un système médical plus égalitaire, qui permette un accès à tous les soins à toustes plutôt qu’une médecine à 2 vitesses.

Quelques ressources utiles pour les pros de la santé et du bien-être :

  • l’accompagnement Care Constellaire, lancé par Anne Favier, naturopathe, qui a pour ambition de “transmettre les clés d’une pratique engagée, alignée avec des valeurs d’inclusivité, consciente des dynamiques systémiques.” : https://annefaviernaturo.wordpress.com/formation-ateliers/
  • la formation en ligne La Pilule rouge, créée par Anne Favier et Selma Sardouk, destinée aux professionnel·le·s de l’accompagnement qui souhaitent décoloniser leur pratique : https://annefaviernaturo.wordpress.com/la-pilule-rouge/
  • l’association Pour une M.E.U.F. (Pour une Médecine Engagée Unie et Féministe), qui lutte contre le sexisme et toutes les autres discriminations dans le domaine de la santé et du soin : https://www.pourunemeuf.org/
  • le syndicat national des jeunes médecins généralistes, qui s’inscrit dans une vision politique de la santé, afin entre autres d’améliorer l’accès au soin et la qualité des soins pour toustes : http://www.snjmg.org/

Quelques ressources utiles pour les patient.e.s :

 

 

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